Une étude ouvre la voie à la communication par la pensée pour les paralysés

Imaginez pouvoir communiquer sans dire un mot, simplement en pensant aux phrases que vous souhaitez exprimer. C’est l’espoir porté par les interfaces cerveau-ordinateur (BCI) dédiées à la parole, qui offrent une nouvelle voix aux personnes paralysées.

Une étude novatrice publiée dans Cell par Erin M. Kunz et son équipe, menée dans le cadre de l’essai clinique BrainGate2, révèle une découverte majeure : le discours intérieur – cette petite voix dans votre tête – partage une représentation neurale avec la tentative de parole dans le cortex moteur.

Cela permet de décoder en temps réel des phrases imaginées tout en proposant des solutions pour protéger la vie privée mentale.

La science du dialogue silencieux

Le cortex moteur, une région du cerveau généralement associée aux mouvements physiques, joue un rôle inattendu dans le discours intérieur, ce monologue silencieux que nous utilisons pour réfléchir, planifier ou lire en silence.

L’étude a impliqué quatre participants souffrant de graves troubles de la parole, causés par la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou un accident vasculaire cérébral.

Ces participants, appelés T12, T15, T16 et T17, allaient de dysarthriques (capables de produire certains sons) à anarthriques (incapables de parler). Grâce à des microélectrodes implantées dans leur cortex moteur, les chercheurs ont pu enregistrer l’activité neuronale avec une précision remarquable.

Ils ont découvert que le discours intérieur – imaginer dire des mots sans les prononcer – active les mêmes zones du cortex moteur (notamment les zones 55b et i6v du gyrus précentral) que la tentative de parole, où les participants essaient de parler à voix haute.

Ces deux processus partagent un « code » neural commun, bien que le discours intérieur génère des signaux plus faibles.

Cette similitude est une avancée excitante : elle suggère que les BCI pourraient décoder des pensées verbales, évitant l’effort physique requis pour tenter de parler, un processus souvent épuisant pour les personnes paralysées.

Décoder des phrases imaginées en temps réel

Pour tester cette idée, l’équipe a mis au point une BCI capable de décoder en temps réel des phrases imaginées. En utilisant un vocabulaire allant jusqu’à 125 000 mots, le système a atteint des taux d’erreur par mot (WER) de 14 % à 54 % selon les participants.

Un WER plus bas indique un décodage plus précis, et ces résultats, bien qu’imperfectibles, marquent un progrès significatif. Les participants ont préféré le discours intérieur à la tentative de parole, car il demande moins d’effort physique et semble plus naturel, évitant les contraintes liées aux mouvements faciaux ou au contrôle de la respiration.

L’étude a également exploré si le discours intérieur pouvait être décodé lors de tâches non conçues pour le provoquer, comme compter des formes ou mémoriser des séquences. Par exemple, lorsqu’un participant comptait des formes colorées sur une grille, la BCI a détecté des séquences de nombres, suggérant que le discours intérieur intervient naturellement dans ces tâches cognitives.

Cette découverte met en lumière le rôle omniprésent du discours intérieur dans la pensée, mais soulève une question cruciale : une BCI pourrait-elle décoder accidentellement des pensées privées ?

Protéger l’intimité mentale

La similitude entre les signaux neuronaux du discours intérieur et de la tentative de parole a soulevé des inquiétudes quant à la « vie privée mentale » – le risque qu’une BCI decode des pensées non destinées à être partagées.

Pour y répondre, les chercheurs ont identifié une dimension neuronale dite de « l’intention motrice », qui distingue la tentative de parole (où le cerveau manifeste une volonté claire de vocaliser) du discours intérieur. En exploitant cette distinction, ils ont développé deux stratégies de protection :

  • Décodage Silencieux des Pensées : Pour les BCI conçues pour décoder la tentative de parole, l’équipe a entraîné un décodeur à traiter les signaux du discours intérieur comme du « silence », les ignorant ainsi. Cette approche a préservé une grande précision pour le décodage de la tentative de parole tout en évitant celui du discours intérieur.
  • Verrouillage par Mot-Clé : Pour les BCI basées sur le discours intérieur, ils ont introduit un système où le décodage ne s’active qu’après la détection d’un mot-clé interne spécifique (par exemple, « chittychittybangbang »). Testé avec la participante T12, ce système a atteint une précision de 98,75 % pour activer ou bloquer correctement la sortie en fonction de la présence du mot-clé.

Ces stratégies offrent un cadre solide pour garantir que les BCI respectent la vie privée des utilisateurs, une considération éthique essentielle à mesure que cette technologie progresse.

Une nouvelle voix pour les paralysés

Ces résultats sont une avancée majeure pour les BCI de parole, en particulier pour les personnes atteintes de paralysie sévère, y compris celles souffrant du syndrome de l’enfermement, incapables de parler ou de bouger.

En décodant le discours intérieur, les BCI pourraient permettre une communication plus rapide et moins fatigante, se rapprochant potentiellement de la vitesse de la parole naturelle.

Le succès avec T17, qui est anarthrique et dépendant d’un ventilateur, montre que même dans les cas de handicap profond, le cortex moteur conserve des signaux distincts pour la tentative de parole et le discours intérieur, élargissant le champ d’application de cette technologie.

Cependant, des défis subsistent. L’échantillon réduit (quatre participants) nécessite d’autres études pour généraliser ces résultats.

Le décodage du discours intérieur spontané, comme les pensées privées lors de réflexions, s’est avéré moins fiable, produisant souvent des sorties peu intelligibles.

Cela suggère que, si le discours intérieur structuré (comme compter ou réciter des mots) peut être décodé, les pensées abstraites et complexes restent difficiles à capter avec la technologie actuelle.

Vers un futur connecté

Cette recherche ouvre une nouvelle ère pour les neuroprothèses, démontrant que la voix silencieuse du cerveau peut être utilisée pour restaurer la communication. Elle souligne également l’importance de garde-fous éthiques pour protéger la vie privée.

À mesure que les BCI évolueront, elles pourraient non seulement transformer la communication, mais aussi approfondir notre compréhension de la manière dont le cerveau tisse pensée et langage. Pour l’instant, cette étude redonne espoir à ceux que la paralysie a réduits au silence, prouvant que même les mots non prononcés peuvent trouver une voix.

Ressources

  • Données neurales et code disponibles sur Dryad et GitHub.
  • Pour plus d’informations, contacter l’auteure principale, Erin Kunz, à ekunz@stanford.edu.

Alexis (Seek & Look)

Alexis, rédacteur de Seek & Look. J’explore et décrypte l’actualité scientifique, les découvertes marquantes et les innovations qui façonnent notre avenir.

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